Bonus - Marseille, mai 1944

Lorsque l'on débute une collection monographique, on est souvent tenté par l'achat de lots de lettres, que l'on espère pouvoir receller des choses intéressantes. La plupart du temps ce n'est pas le cas, et ces lettres finissent par s'entasser dans le fond d'un placard.
Bien entendu ce fut également mon cas...
Récemment, en recherchant quelque chose de spécial, j'ai eu la curiosité d'ouvrir deux enveloppes qui contenaient encore leur correspondance.


Les lettres

Ces letres sont adréssées à "Madame Veuve Jacob, 57 rue de la droite à Sisteron, Basses-Alpes".

Première lettre

La première lettre est datée du 15 juillet 1944, et a été expédiée par une certaine C. Raphel, qui était apparemment de la famille d'un négociant en huiles, savons et cafés de Salon-de-Provence, comme l'indique l'en-tête du papier à lettre commercial utilisé.

Après quelques lignes d'introduction, commençait l'évocation d'un drame comme il en arriva tant pendant la guerre :

Hélas, nous venons d'être encore bien éprouvés, décidemment notre famille n'a pas de chance et il nous faut nous résigner à notre sort.
Vous savez qu'ils ont échappé tous les trois à la mort par miracle et c'est cela qui nous console; mais ils ont tout perdu et à l'âge de ma sœur et de mon beau-frère, on ne peut plus guère avoir l'espoir de se remonter, surtout à l'époque actuelle.
Ils sont au 39 rue Consolat dans l'appartement d'un collègue de mon beau-frère qui a été tué à côté d'eux dans l'abri...

Deuxième lettre

La deuxième lettre est datée du 20 juillet 1944, et a été expédiée par un certain H. Bernard, sur papier à en-tête de la "Société Philantropique des Employés des Chemins de Fer, 70 Boulevard National, Marseille".
Comme on pourra le constater à la lecture de son courrier, il s'agit là du beau-frère dont parlait Madame Raphel dans le courrier précédent.

Là encore, après deux lignes de politesse, on rentre dans le vif du sujet !

Je pense que Jeannot est remis de ses blessures et de son emotion. Quelle catastrophe ! Et pourtant ainsi que vous le dites nous devons nous estimer heureux d'être tous les 3 en vie et vraiment c'est un miracle que nous soyons encore de ce monde. Avec Alfred, nous étions dans les fameux abris d'où l'on a retiré 96 morts, dont Jeannot Carpe, Yves Duteil, Jaques Porcheret, les 3 Reynier, et tout le reste, employés de la voie ! Paul qui était sur la machine de manœuvre, en gare, a eu juste le temps de sauter dans un abri et il s'en est tiré alors que son mécanicien a été tué et placardé contre le mur du terminus.[...]
Que vous dirai-je de plus ? Nous n'avons absolument rien retiré des décombres. Notre mobilier est réduit en planchettes dont nous avons fait un voyage de bois pour nous chauffer cet hiver. Nous habitons 39, rue Consolat, un appartement meublé où habitait un chef de section de la voie tué dans nos abris.

Les faits

Poussé par la curiosité, je me mis à la recherche de ce qui avait pu provoquere ce drame, et la réponse ne se fit pas attendre :


L'Action Française du 30 mai 1944.
( Source gallica.bnf.fr / BnF )

Le 27 mai 1944, des bombardiers américains effectuèrent un raid sur Marseille, visant tout particulièrement le quartier de la Gare Saint-Charles. Ces bombardements firent 1500 victimes. Parmi celles-ci, figurent soixante-six agents de la SNCF, plus neuf membres de familles de cheminots, qui s'étaient réfugiés dans des abris.
A Marseille, une stèle fut érigée en hommage à ces victimes. Et sur cette stèle, on retrouve bien les noms cités dans la lettre ci-dessus !


Note importante

Si ces lettres sont de beaux témoignages d'une époque tragique, je suis très conscient qu'il s'agit également de courriers personnels qui relèvent de la vie privée.
En conséquence, si vous appartenez à la famille de cette Madame Jacob, ou de l'une des victimes dont il est fait mention dans ces courriers, et si vous ne souhaitez pas que leurs noms soient publiés sur cette page, il suffit de m'en faire part par mail, et je les retirerai immédiatement.

Et si vous considérez ces lettres comme faisant partie de votre patrimoine familial, je me ferai un plaisir de vous les restituer.



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