Le 1F50 type Bersier - Chapitre précedente : Les Tirages Spéciaux. Le Faux F.F.I. (Défense de la France) Chapitre suivante : Le Faux Intelligence Service.

Le Faux F.F.I.

Ce timbre fut émis par la Résistance française en Janvier 1944 pour éviter d'avoir à acheter des timbres à l'Etat Français pour l'affranchissement de ses journaux et de ses tracts clandestins. Il devait aussi éviter que les résistants ne se fassent repérer lors de l'achat massif de timbres dans les bureaux de poste.
Il est souvent appelé "Faux Défense de la France" ou "Faux de la Résistance".


Le Faux F.F.I.

Un vrai

"Défense de la France".

Le mouvement.

Le mouvement "Défense de la France" est né en novembre 1940. Il est fondé par Philippe VIANNAY, Marcel LEBON, Hélène VIANNAY (née MORDKOVITCH) et Charlotte NADEL.

Les buts qui ont réuni les quelques personnes qui ont créé Defense de la France étaient principalement la création d'un journal et d'une manière annexe tout ce qui pouvait, soit contribuer à aider ceux qui luttaient contre l'Allemagne, soit agir d'une façon directe. Philippe VIANNAY

Le Jounal.

Le premier n° du journal paraît en août 1941. Ce n'est, à cette époque qu'un simple tract tiré en offset sur une machine "Rotaprint". Avec le temps, plusieurs autres machines de plus en plus efficaces furent employées.


( Source gallica.bnf.fr / BnF )

Après la libération, le journal deviendra "France-Soir" dont le premier numéro paraît le 7 novembre 1944.

L'atelier des faux.

En juin 1940, Michel Bernstein, fils d'émignés polonais, s'évade d'un local gardé par les allemands, en emportant le tampon en caoutchouc du Colonel commandant le "Bureau central de recrutement de la Seine"!
C'est de là, dit-il, que naitra sa vocation de "faussaire". A Paris, il rencontre Monique Rollin qui deviendra sa compagne. Début 1942, ils sont contactés par le mouvement "Défense de la France" pour mettre en place un atelier de fabrication de faux-papiers. A partir de ce moment là et jusqu'à la fin de la guerre, ils fabriqueront des milliers de faux documents et de tampons (environ 12.000). Ce sera "l'Atelier des Faux".


Fabrication.

C'est dans cet atelier que fut créé ce faux timbre. Il sera réalisé de toute pièce par un personnel sans qualification, sur une machine d'imprimerie du type "Phenix".


Une presse "Phenix".

La composition du timbre fut constitué par un bloc de 4 vrais dont la photographie sera reportée trois fois dans un sens et deux fois dans l'autre, ce qui constitue un bloc de 4 x 6 = 24 timbres. Quatre blocs de 24 clichés seront réalisés pour imprimer une page entière. Ces 4 blocs seront séparés par une bande inter-panneaux blanche.


Un des 4 blocs de 24 poinçons.

☛ Photo Musée de la Poste fournies par Mick Bister.


C'est la dentelure qui posa le plus de problèmes. Les premiers essais furent faits sur une ... machine à coudre. Puis on utilisa une vague "machine à perforer". La dentelure est de 11 1/2 au lieu de 14 sur le vrai.

Il y eut, évidement, quelques variétés de piquage :


Une feuille de 96 non dentelée. 🔎

☛ Photo Musée de la Poste fournies par Mick Bister.

L'encre, le papier et la colle furent d'autres handicaps en ces temps de pénurie.
Le problème de la gomme fut vite résolu : Les timbres ne furent pas gommés ! Ils étaient collés, à la colle, au moment de leur utilisation.
Le papier est de mauvaise qualité (fin) mais blanc!
L'encre utilisée donna des résultats variables :

Ces timbres se présentent en planches de 96, divisées en 4 blocs de 25 séparés par une bande inter-panneau.
Le tirage est d'un peu plus de 10.000 feuilles.
Il fut réellement utilisé, sur lettre, du 25 janvier au mois de juin 1944.


Sur lettre oblitérée de Chazelles sur Lyon le 6 juin 1944 !

Les Expositions.

L'exposition de Paris.

Les 10.000 feuilles restantes, furent ensuite mises à l'abri au Musée de la Guerre, et furent vendues lors de l'Exposition de l'Atelier des Faux à Paris le 28 décembre 1944, revêtues, au dos du cachet "Atelier des Faux - Défense de la France".


Le cachet.

France-Soir du 28 décembre 1944.
( Source gallica.bnf.fr / BnF )


Ce Soir du 9 janvier 1945.
( Source gallica.bnf.fr / BnF )

La Gazette de Lausanne du 20 février 1945.

Pendant tout le temps de l'exposition, il fut possible pour ceux qui ne pouvaient pas se rendre au Musée de la Guerre, de commander des feuilles entières ou des blocs de 24 de ces faux. Chaque envoi était accompagné d'un courrier et d'une notice explicative.


Le courrier. 🔎

La notice 🔎

L'exposition de Bruxelles.

Le 12 Novembre 1945, une autre exposition eut lieu à Bruxelles. A cet occasion furent émis deux feuillets spéciaux .


Le petit feuillet.

Le grand feuillet (avec timbres belges)..

Documentation.

En avril 1946, B. E. de Pelenkine, ingénieur et W. A. Biemans éditent un fascicule titré "Étude sur le timbre émis par la Résistance Française".


L'étude.


Une étude philatélique illustrée, portant le titre : « Étude philatélique sur le timbre émis par la Résistance Française - 1,50 brun Pétain - Faux pour servir» par MM. W. Biemans et B.E. de Pelenkine. Éditions «Wabi», va paraître incessament. Cette étude comporte l'historique de ce timbre émis par la Résistance Française et qui fit couler tant d'encre dans les revues spécialisées, ainsi que toute une documentation inédite y relative.
Une rubrique spéciale, avec photos, illustre de façon claire et précise toutes les variétés et défauts de ce timbre, sans omettre la reproduction de nombreux documents.
Il intéressera au plus haut point tous les amateurs de timbres de guerre et sera digne de figurer dans les bibliothèques philatéliques.
Le tirage de l'ouvrage est en vente par souscription au prix de : 25 francs belges (plus 5 francs belges pour le port-emballage) à verser au compte chèque postal 3.707.48 de Biemans, 30, rue Duquesnoy à Bruxelles. La Quinzaine Philatélique, n° 2, 15 Mars 1946.

Ce que l'on trouve sur le marché


De bien étranges épreuves.

2012

Pour moi, le mystère de ces étranges épreuves commença en juin 2012 dans le catalogue de la 78ème vente sur offre d'Achat Collections.


🔎

Le descriptif du lot 578 était ainsi rédigé :

"Pétain 1f50, grand feuillet épreuve du faux de la Résistance provenant des archives Bieman Landais (ex collection Robin). Signé Mayer, TTB et très rare."

Le prix de départ du lot était de 500 €. Ayant d'autres priorités je laissai passer.

2015

Mais en octobre 2015, le même lot réapparut dans le catalogue de la 88ème vente sur offre de la même maison. Intrigué par l'illustration, je demandai un scan agrandi du centre de l'épreuve. Scan qui me fut gracieusement fourni.


🔎

Curieuse photo faisant plus penser à une impression offset découpée et collée sur carton. Dans le doute, je n'ai pas osé risquer 500€...

2018

C'est dans la Vente Publique d'avril 2018, de David Delhaye, qu'une épreuve semblable (plus exactement un lot d'épreuve) est venue relancer l'affaire.
Le lot étant proposé à 130 €, pour 4 épreuves, le risque était beaucoup moins grand, et je tentai une offre. Finalement, je remportai le lot pour 200€, soit 50€ l'épreuve.


Grande épreuve, semblable aux épreuves ci-dessus. 🔎

Épreuve avec 6 poinçons, couleur claire.

Épreuve de taille moyenne et de couleurs différentes. 🔎

Recherches

Maintenant que j'avais ces épreuves sous les yeux, je pouvais commencer plus sérieusement les recherches.
Ces épreuves sont sur carton souple. Les poinçons sont bien imprimés et non, comme je l'avais pensé au début, collés. L'impression des timbres semble avoir été réalisée en offset, par petits points comme le sont les photos des journaux de l'époque. Mais par qui et comment ont été imprimées ces épreuves ?

Si l'on s'en réfère à la description du lot faite dans la V.O. d'Achat Collection, elles proviendraient de archives "Bieman Landais". Or, une recherche de "Bieman Landais" sur les moteurs de recherchent ne retourne aucun résultat. Là encore, c'est Mike Bister qui me mis sur la bonne piste :
En effet, si l'on remonte un peu plus haut dans cette page, au chapitre "Documentation", on voit que l'un des auteurs du fascicule sur cette émission, s'appelle W. A. Biemans. Est-ce ce fameux "Bieman-Landais" ? Il semblerait que oui, suite à son mariage avec Adrienne LANDAIS :


L'Ouest Éclair du 9 juillet 1932.

Alors, ce Wilfrid Biemans, philatéliste, libraire et éditeur à ses heures, est-il le créateur de ces épreuves, et, si oui, dans quel but ?

J'ai contacté Achat Collection pour avoir plus d'informations sur le lot vendu, et sur le texte descriptif, mais malgré leurs recherches ils n'ont pas pû me renseigner.

Autre question : selon la description fournie par Achat Collections, leur épreuve serait signée Mayer. Or, je suppose qu'un expert ne peut signer ce genre de document que s'il a une bonne connaissance des circonstances de son émission (à condition, bien sûr, que la signature soit authentique).
Là également, j'ai contacté Martine Mayer par mail, mais je n'ai pas eu de réponse !

Pourquoi ?

Pourquoi avoir imprimé de telles épreuves ? Ici, s'ouvre une autre piste.
On remarque que sur la notice explicative fournie aux acheteurs de faux par le musée de la guerre en 1945, les photos de timbres sont elles aussi imprimées selon cette technique de points plus ou moins gros. Mais cette image est bien plus grande que celle des épreuves. Sur la notice elle mesure 37mm, contre 21mm sur les épreuves.


La photo de la notice et l'épreuve à la même échelle. 🔎

Pourtant, lorsque l'on scanne les deux documents en grossissant les images, et qu'on les mets toutes deux à la même taille, on constate que les séries de points correspondent parfaitement. C'est flagrant si l'on fait un montage àvec les deux clichés ! Il y a peu de chances que ce ne soit qu'un effet du hasard !


A gauche l'image de la notice. A droite l'épreuve agrandie
et mise à la même taille.

Il semble donc très probable que ces épreuves ont un lien avec la notice du Musée de la Guerre. Mais dans quel sens ? Je veux dire par là : "qui a servi de modèle à l'autre ?".

Soit l'épreuve est un essai réalisé en vue de réaliser la notice. Dans ce cas :
1) Pourquoi ce besoin de faire des épreuves ? Il suffisait d'utiliser une photo des deux timbres, de les inclure dans la maquette de la notice.
2) Et si c'était juste pour avoir un aperçu du résultat, pourquoi ne pas les avoir réalisées à la bonne échelle?
3) Pourquoi n'avoir mis qu'un timbre sur les épreuves alors qu'il y a deux photos sur la notice (le vrai et le faux).
4) Pourquoi se seraient-elles retrouvées dans les archives de Wilfrid Bieman ? Peux-t-on imaginer que le Musée de la Guerre ait fait appel à un petit libraire belge pour imprimer sa notice ?

Soit, à l'inverse, ces épreuves ont été fabriquées par W. Biemans à partir de la notice du Musée de la Guerre.
Dans quel but ? Si c'est pour berner les collectionneurs, il était plus simple de fabriquer ces épreuves à partir d'un vrai "faux".
Ou alors, c'est en travaillant sur la maquette de la brochure réalisée avec B. E. de Pelenkine (voir plus haut "documentation") qu'il a réalisé ces "essais" ? On retrouve, en effet, page 5 de la brochure, la photo des deux timbres comme sur la notice.

L'image des timbres sur la brochure. 🔎

Agrandissement. 🔎
Mais en regardant de près, on voit que c'est la notice qui a servi d'image originale pour la brochure. Ne serait-ce que par la présence de ce défaut dans le cadre des photos au-dessus du mot "vrai", et de l'aspect dégradé des points visible sur l'agrandissement. Il ne faut pas oublier que la notice est antérieure à la brochure (début 1945 pour la notice, avril 1946 pour la brochure).

En conclusion : en l'état actuel de mes connaissances, aucune de ces deux hypothèse n'est franchement satisfaisante. Un élément nouveau viendra peut-être un jour m'aider à résoudre le mystère de ces "étranges épreuves". !

Valeur ?

Quelle peut-être la valeur de ces épreuves ? C'est une très bonne question...

On peut les considérer comme des supercheries, ou comme des faux pour tromper les collectionneurs un peu trop crédules, et en déduire qu'elles n'ont aucune valeur, ni philatélique, ni pécunière. Mais si l'on considère qu'elles datent de la période 1945-1946 et qu'elles sont rares, on peut les voir comme des témoins de cette époque particulière et leur accorder une certaine estime pour leur côté historique.

Comme bien souvent en philatélie, une pièce a la valeur que l'on veut bien lui donner. Pour ma part je peux juste dire que je ne regrette pas mon achat, ne serait-ce que pour m'avoir permis d'effectuer cette passionnante recherche.



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